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Réduire la taille de la Commission, en 2009, en 2014, quel casse-tête!

(B2) La Commission réduite en 2009, selon le Traité de Nice (rappel)
Le nombre de commissaires dans la prochaine Commission européenne est - jusqu'à nouvel ordre (jusqu'à que les 27 Etats membres ratifient) - fixé par le Traité de Nice. Or, celui-ci prévoit que la nouvelle Commission devra être réduite dès l’automne 2009 (et non pas en 2014 comme prévu par le Traité de Lisbonne), le Conseil des Etats membres en fixant les modalités. C’est l’application de l’article 4 du protocole n°10 de l’élargissement («  à partir du moment où l’Union compte 27 membres ») qui modifie l'article 213 § 1 du Traité CE.

Un dispositif très encadré
Pour être plus exact, le nombre de commissaires devra être « inférieur au nombre d’Etats membres ».
Et le Conseil, à l’unanimité, doit déterminer :
1° le nombre de membres de la Commission ;
2° les modalités de la rotation égalitaire contenant l'ensemble des critères et des règles nécessaires à la fixation automatique de la composition des collèges successifs, sur la base de deux principes (fixés par le Traité):
a) "les États membres sont traités sur un strict pied d'égalité en ce qui concerne la détermination de l'ordre de passage et du temps de présence de leurs nationaux au sein de la Commission; l'écart entre le nombre total des mandats détenus par des nationaux de deux États membres donnés ne peut jamais être supérieur à un" ;
b) sous réserve (du premier principe), "chacun des collèges successifs est constitué de manière à refléter d'une manière satisfaisante l'éventail démographique et géographique de l'ensemble des États membres de l'Union".
Autrement dit ce n'est pas évident du tout. Et les débats risquent d'être longs au Conseil pour arriver à un accord sur l'exclusion de certains nationaux de la Commission. Sauf à repousser à plus tard toute décision.

Deux solutions semblent exclues :

Prendre une décision précisant que le nombre de commissaires est 27. La formulation du Traité est on ne peut plus claire : réduction du nombre de commissaires, fixation à l'unanimité du nombre (donc réduit) par le Conseil, cette formule me paraît donc exclue (à moins d'avoir une lecture purement formelle du Traité).

2°Exclure le commissaire irlandais. C'est idiot. Outre que cette décision serait injuste et impensable politliquement, elle paraît impossible juridiquement : il faut l'unanimité pour une telle décision, et on voit mal l'unanimité se faire sur cette question (un gouvernement irlandais qui approuverait cette mesure serait suicidaire) ; de plus, les critères combinés - représentation égalitaire, démographique, géographique me paraissent délicat à justifier.

Deux solutions semblent plus réalistes, même si elles peuvent conduire à des impasses:

Ne rien décider et garder une Commission à 27 Etats membres. Dans ce cas, il y a carence, de fait, du Conseil. Toute institution européenne (le Parlement par exemple ou un Etat membre) peut alors saisir la Cour de justice pour le constater. Si le recours aboutit et que la Cour condamne, la situation n'est pas plus claire, il y aura une crise politique. Il peut donc y avoir une tentation d'un "pacte de silence" = toutes les institutions sont d'accord pour ne pas traîner le Conseil devant la Cour (Un particulier ne peut en effet attaquer une institution pour carence).

Ne pas être d'accord sur les modalités (ce qui revient à ne rien décider). Selon un responsable de la Commission, proche de José-Manuel Barroso, "nous aurions une continuité institutionnelle". Autrement dit la Commission continuerait de fonctionner à 27 membres. Cette hypothèse paraît valable. Un recours en carence devant la Cour peut toujours être tenté mais là-aussi, il peut y avoir un "pacte de silence" (voir ci-dessus). Et le recours plus difficile à démontrer (il n'y a pas effectivement carence mais impossibilité de décider : de nombreux textes communautaires mettent plusieurs années à être approuvé).

Deux solutions pragmatiques peuvent aussi être évoquées :

Saisir volontairement la Cour de justice, en lui "filant le bébé". La Cour a ce pouvoir - rarement utilisé - de trancher entre les différents des Etats membres.

Les 27 décident de réduire la Commission, mais plus tard, ou de façon progressive pour arriver au chiffre de 2/3 (prévu par le Traité de Lisbonne à un horizon très lointain). Reste à fixer le processus de réduction égalitaire.

On "invente" une solution non prévue par les textes. Soit en donnant une "compensation" à la nationalité non représentée, par exemple en lui réservant les postes de secrétaire général de la Commission ou de directeur du service juridique (deux postes clés au sein de l'exécutif européen qui assistent aux réunions du collège ou donnent leur "imprimatur" sur les textes débattus). Soit en prévoyant un système de rotation plus rapide : sur un demi-mandat (deux ans et demi), délicat à justifier au regard des autres textes.

On peut aussi "supputer" justement...

Une action en justice d'un particulier devant la Cour de justice. Par exemple, une entreprise lésée par une décision (ou une non-décision) en matière de concurrence, invoque - au détour de son recours en annulation de la décision - une exception d'illégalité, le manque de régularité de la composition de la Commission devant la CJCE. C'est une éventualité que m'a soufflée un diplomate européen (après mon article dans Europolitique sur le traité de Nice) ! Et assez rarement utilisée si j'en crois la base de données de la Cour (*). C'est juste mais le résultat ne semble pas évident et surtout cette hypothèse joue dans plusieurs cas...
a) Pas évident. D'une part, il faut qu'un particulier attaque devant la Cour, invoque ce moyen. Il faudra ensuite attendre quelque temps ,au minimum trois ans, avant une décision (je ne vois pas la Cour décider en référé sur ce sujet). D'autre part, il faut que la Cour accepte cet arguement sur la forme d'abord et surtout qu'elle l'accepte sur le fond (ce qui est pas évident). Il faudrait en efet prouver que la composition de la Commission est en défaut (voir le 4°), que ce défaut a joué un rôle dans la décision. Et là, j'ai un doute : je ne vois pas en quoi, une Commission à 27 - même "irrégulièrement constituée" - déciderait différemment d'une Commission à 18 ou 22.
b) A double tranchant. Permettons de remarquer que l'hypothèse d'un recours d'un particulier peut jouer dans d'autres hypothèses : si les 27 décident de réduire la Commission. Cette hypothèse est d'ailleurs plus plausible, un représentant d'un pays qui ne serait pas représenté à la Commission attendrait la première occasion pour attaquer et invoquer que les critères fixés par le Traité ne sont pas remplis (rotation égalitaire, équilibre géographique, démographique etc...).
(*) Dans la base de données de la Cour, j'ai noté deux arrêts : l'un concerne un Etat membre Allemagne / Commission
C-334/99
du 28 janvier 2003 ; l'autre une entreprise : Kvaerner T-227/99 du 28 février 2002. Tous les deux concernait la "mise en congé" du commissaire Bangeman après sa participation dans l'entreprise Telefonica et s'étaient soldés par un refus de prendre en compte les arguments des parties prenantes.

Réduire la Commission une grosse betise ?
Personnellement, je pense que réduire la Commission est une des grosses "betises" du Traité de Lisbonne (comme de la Constitution). Naïvement dans mes jeunes années, quand je revais d'Europe en théorie, je pensais effecitvement que c'était le meilleur système pour assurer de l'efficacité au système communautaire. Dans la pratique, quand on voit comment fonctionne une Commission, on voit bien que ce qui fait une dynamique n'est pas le nombre de commissaires mais la personnalité, la volonté collégiale et l'envie d'Europe des unes et des autres. Une Commission réduite à 20 membres avec un président falot (je ne donnerai pas de noms -:) ) donnera une Commission aussi faible qu'à 40 avec un président dynamique. De plus, quand on voit les sentiments au niveau des Etats membres, il est à mon sens plus important que la Commission ait une garantie de légitimité, d'impartialité, de compréhension de ce qui se passe dans chaque pays. Il est donc dans l'intérêt de la Commission et de l'Europe comme des citoyens que chaque pays soit représenté dans l'exécutif européen.

Quelle légitimité aurait, en effet, une Commission qui - par exemple - interdirait des mesures pour Alitalia (où il n'y aurait pas de commissaire italien), celle qui viendrait sanctionner la Pologne ou la Lituanie (si un commissaire de ces pays n'est pas représenté) ? Ce n'est pas crédible. Ce n'est pas sérieux ! Une telle Commission européenne serait faible par nature. Précisons que dans toutes les institutions européennes (Parlement européen, Conseil, Cour de justice), il y a un national de chaque Etat membre. Ce qui me semble à réformer est donc davantage le mode de désignation, totalement entre les mains des Etats et qui conduit à aboutir au plus petit dénominateur commun. Un système (comme celui proposé par certains députés européens) qui permettrait à chaque Etat de proposer deux ou trois personnalités et au Parlement européen de choisir entre elles, me parait être une meilleure garantie d'efficacité que la réduction de la Commission.

(NGV)

Crédit photo : NGV ("siège de la Commission européenne à Bruxelles)

(article publié à l'origine sur le blog "europesociale")

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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