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(Arrêt) Une déclaration est une discrimination directe à l’embauche

(B2) L’affaire avait défrayé la chronique belge en 2005. Un employeur, Feryn, spécialisé dans les portes de garage, avait publié des annonces pour recruter des installateurs. Mais dans plusieurs interviews à des journaux et à la télévision (voir ci-dessous), il avait précisé qu’il ne voulait pas embaucher de Marocains en raison des réticences de la clientèle à leur donner accès, le temps des travaux, à leur domicile privé. Le fait avait été relevé par le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, l’organisme chargé de
promouvoir l’égalité de traitement en Belgique, qui avait porté l’affaire en justice.

Une des premières affaires de discrimination raciste devant la Cour
«  A l’inverse de ce que prétend la sagesse traditionnelle, les mots peuvent blesser. Mais peuvent-ils aussi être constitutifs de discrimination? » s’est donc demandé Miguel Poiares Maduro, l’avocat général de la Cour de justice des CE. Oui, répond, sans ambages, la Cour. Une telle déclaration constitue une « discrimination directe » au sens de la directive européenne 2000/43 du 29 juin 2000, sur l’égalité de traitement (CJCE, 10 juillet 2008, Firma feryn N.V.,  affaire C-54/07).

L'argumentation de la Cour repose sur trois éléments
Tout d’abord, et c’est important, la Cour estime que « l'absence de plaignant identifiable ne permet pas de conclure à l'absence de toute discrimination directe au sens de la directive ». En effet, « la promotion d'un marché du travail, favorable à l'insertion sociale, serait difficilement atteinte si elle se limitait aux seules hypothèses où un candidat malheureux à un emploi intenterait des poursuites à l'encontre de l'employeur sur base d'une discrimination ». En outre, de telles déclarations sont de nature à dissuader sérieusement certains candidats à déposer leur candidature. La Cour se prononce ensuite sur la charge de la preuve. Dans une situation où l’existence d’une politique de recrutement discriminatoire est rapportée, « c’est à l’employeur qu'il incombe, d'apporter la preuve qu'il n'a pas violé le principe de l'égalité de traitement ». Il appartiendra ensuite à la juridiction de renvoi de vérifier si les faits reprochés sont établis. La Cour énonce, enfin, les exemples des sanctions adaptées à ce type de discrimination : «le constat de la discrimination par la juridiction compétente, assorti du degré de publicité adéquat ;  l'injonction faite à l'employeur de cesser la pratique discriminatoire ; ou encore l'octroi de dommages et intérêts à l'organisme qui a mené la procédure».

Les déclarations d’origine
Le 28 avril 2005, le quotidien belge flamand « De Standaard » avait publié une interview avec Pascal Feryn, un des directeurs de la société, sous l’intitulé «Les clients ne veulent pas de Marocains». Où M. Feryn déclarait : «A l’exception de ces Marocains, personne d’autre n’a réagi à notre appel … mais nous ne cherchons pas de Marocains. Nos clients n’en veulent pas. Ils doivent installer des portes basculantes dans des maisons privées, souvent des villas, et les clients ne veulent pas les voir entrer chez eux». Des articles similaires étaient aussi paru sdans les quotidiens Het Nieuwsblad et Het Volk. (Mais) M. Feryn conteste la relation faite par ces quotidiens.

Le soir, M. Feryn s'expliquait à la télévision belge : «[B]eaucoup de nos représentants se présentent chez nos clients … Tout le monde fait placer un système d’alarme et a actuellement très peur. Ce ne sont pas les immigrés qui cambriolent. Je ne vais pas prétendre cela, je ne suis pas raciste. Ce sont tout autant des Belges qui font des cambriolages. Mais les gens ont apparemment peur. Donc on dit souvent: pas d’immigrés …Je dois répondre aux exigences de mes clients. Si vous me dites «je veux tel produit ou je veux ceci ou cela», et que je vous dis «je ne le fais pas, je fais venir ces gens», vous me répondrez «je ne veux pas de votre porte». J’en viendrais à mettre la clé sous la porte. Nous devons répondre aux exigences des clients. Ce n’est pas mon affaire. Ce n’est pas moi qui ai créé ce problème en Belgique. Je veux faire tourner ma société et qu’à la fin de l’année, le chiffre d’affaires soit atteint et comment j’y parviens …. Je dois l’obtenir en me conformant aux désirs du client!» (voici les faits tels que le relatent les  conclusions de l’avocat général)

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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