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Eufor Tchad 2: quand un grain de sable grippe la machine Transport

(© NGV / B2 - tous droits réservés)

(BRUXELLES2, Aéroport de N’Djamena et d'Abéché) 7 h du matin, base militaire de N'Djamena, le thermomètre affiche déjà 24° degrés au soleil et file allégrement vers les 35-40°. Inutile de perdre du temps. Pas de tempête de sable annoncée aujourd’hui. Il faut s’activer pour rattraper le retard de la veille, quand tous les avions étaient cloués au sol, pour cause de tempête de sable, à Abéché. Sur ces deux aéroports, depuis la mi-mars surtout, une bonne partie du trafic aérien est destiné à l’Eufor. Il faut, en effet, tout transporter sur place : du bungalow et douches à l’ambulance ou au tractopelle en passant par les munitions, les frigos médicaux, les éléments du radar ou du drone…

Tous les moyens utilisés

Le matériel lourd est acheminé par voie maritime, via Marseille et Douala - 4 bateaux étaient ainsi attendus en avril (1 irlandais, 1 français et 2 belges) -, puis en train et camions jusqu’à N’Djamena et Abéché. Ce qui fait en tout 50 jours de transit. Cette voie est longue, et souvent encombrée d'autres convois (Onu, ONG…) car c’est la seule praticable quand elle n'est pas soumise aux aléas sociaux ou émeutes de la faim : le port de Douala a ainsi été agité par plusieurs mouvements. Pour ne pas être fragilisée, l’Eufor étudie donc une route alternative, par la Libye et le nord du Tchad, qui passerait par le désert et les montagnes du Tibesti, et permettrait d’atteindre directement Abéché. Une route plus courte (environ 20 jours de gagnés) mais moins usitée et qui dépend de la bonne volonté libyenne. Eufor a recourt également à des avions gros porteurs (type Antonov 24 ou Iliouchine 76) qui transitent directement d'Europe ou font la navette entre Douala et N'Djamena. Le transport entre N'Djamena et Abéché ou Birao (en république centrafricaine) étant ensuite assuré par une noria d'avions tactiques (type Hercules ou Transall).

Une noria d'avions

L’Eufor dispose, en effet, depuis quelques jours d’une pleine capacité opérationnelle de transport. Au C130 portugais dédié à l’Eufor — que devait remplacer un C130 espagnol et un C130 grec — s’ajoutent les avions français (Hercules C130 et Transall C160) et les C130 suédois et belge arrivés en renfort. Au point qu'à Abéché, certains jours, on se croirait sur un aéroport européen. Le matin, un avion se pose ou décolle sur l'unique piste toutes les 15 minutes. Il reste le temps du déchargement, de recharger en fuel et repart aussitôt pour ne pas encombrer les parkings qui sont limités. Et ainsi de suite. Il s’agit en effet de rattraper les jours précieux perdus par suite des aléas politiques (l’attaque rebelle début février), climatiques et mécaniques. Il s'agit aussi de ne pas traîner car il manque de places de parking.

Des travaux lourds sont ainsi menés par l’Eufor à N’Djamena et surtout à Abéché pour remédier à cette difficulté. Une « taxi way » - chemin de garage – est ainsi créée pour relier la piste de l’aéroport directement au Camp des étoiles qui intégrera directement une aire de garage des hélicoptères et des avions. Il s’agit aussi d’acheminer tout le matériel avant la saison des pluies pour que les camps de Farchana, Goz Beida, Iriba et Bahai disposent de tout le nécessaire. Après ce sera plus difficile. Le tout en faisant face aux inévitables, et nombreuses, pannes d’avion : les Transall à bout de souffle, passent régulièrement dans les mains des mécaniciens. Les C130 ne sont pas non plus épargnés. Témoin l’avion belge durant le séjour qui a mis deux jours de plus pour repartir.

Dans la salle du transit aérien

Dans la salle du transit aérien du camp Kossei — le J4 en jargon militaire —, un grand tableau indique les vols du jour et le matériel transporté. Ce sont les Français – de la mission Epervier, prêtés pour l’occasion à Eufor — qui assurent normalement la gestion du trafic et l’assistance en escale (que ce soit le déchargement ou le chargement des avions). Chaque entité assure ensuite, de façon autonome, la gestion de ces avions. Mais les deux officiers J4 se concertent quotidiennement pour "mutualiser les moyens". Face à la masse de fret à transporter, la moindre possibilité, le moindre espace libre est, en effet, exploité, avec l’agrément de l’équipage concerné. "Nous avons demandé à notre avion qui venait de Libreville d'arriver un jour avant pour faire une ou deux rotations de plus" explique le Lieutenant Colonel Jordan, officier J4.

Pour assurer le transport de ces personnels, de l’Etat-major, contraint à de nombreuses allées et venues, EUFOR a loué à une compagnie locale un petit avion d’une vingtaine de places (type Beechcraft), qui fait la navette entre N’Djamena, Abéché, voire Birao. Quant aux hélicoptères, les Puma français, qui ont transité par bateau jusqu’à Douala, devaient être opérationnels. Et les Russes — entre 6 et 8 Mi8 ou Mi26 annonce-t-on —, sont attendus avec impatience. Ils permettront en effet de compléter la noria d'avions tactiques – voire de les remplacer, pendant la saison des pluies. « Les négociations avec les Russes se passent dans une ambiance positive » explique-t-on à Bruxelles. Sur le terrain, on reste très prudent. « Quand je les verrais aligner au bout de la piste, j’y croirais » explique un Lieutenant-Colonel de l’armée de terre (En France, les hélicoptères dépendent surtout de l'armée de terre).

Contrôle aérien à perfectionner

Si l’aéroport de N’Djamena est un aéroport international, ouvert 24 heures sur 24, avec contrôle aérien attenant, celui Abéché est un aéroport local, avec un contrôle aérien limité de façon horaire (8h30 – 17 h) et en moyens. La vigilance doit être d’autant plus extrême que les hélicoptères militaires tchadiens décollent et atterrissent, sans demander l’autorisation de personne. Le contrôle doit être avant tout visuel. Eufor a prévu de renforcer ces moyens, avec un radar, des balises lumineuses et sa propre équipe de contrôle aérien. En attendant, en dehors de ces heures, ou la nuit, l’atterrissage des avions se fait à la "Mermoz", à l’ancienne, les militaires français chargés du transit aérien. "Une dizaine ou quinzaine d’hommes se répartissent le long de la piste pour la baliser, poser les balises lumineuses, et surtout les garder, car sinon elles s'envolent – elles sont volées" précise un militaire. L'avion est alors guidé au sol par radio, selon des procédures très simplifiées. Le pilote d'un avion autrichien a ainsi été surpris en découvrant les conditions d'atterrissage.

Hercules, Transall ou hélicoptère ?

L'Hercules C130, le Transall C160 et l'hélicoptère Mi26 sont sensiblement comparables. Le premier transporte 17 tonnes (ou 92 passagers) à 600 km / heure maximum, le second 16 tonnes (ou 87-91 passagers) à 500 km / heure maximum, le troisième 20 tonnes (ou 85 passagers) à 295 kms / heure maximum. Mais pour les spécialistes aériens, le Transall, malgré son âgé antique, a un avantage net : équipé de roues basses pressions, il n’abîme pas la piste. Le Mi8 (nom de code Hip) peut emmener jusqu'à 4 tonnes de matériel et 32 passagers. Il a différentes versions (T=Transport, TV = mitrailleuses et anti-chars, MS = sauvetage, MT ou Mi17= le plus armé et protégé). Le Mi26 (nom de code Otan = Halo), l’hélicoptère le plus lourd et le plus grand qui existe, peut s’employer partout et transporter du matériel, soit en soute, soit sous élingue (avec un câble). Utilisé par les forces russes en Afghanistan et en Tchétchénie, et sur la catastrophe de Tchernobyl, sa robustesse a été appréciée par les Nations-Unies qui en font leur moyen de prédilection (Somalie 1993, Yougoslavie 1995, Timor 1999, Sierra Leone 2000…). Son principal défaut est d’offrir une cible de choix. Plusieurs appareils de l’Onu en Croatie et Bosnie ont été victimes de tirs.

(1) Le Tchad est un des pays les plus enclavés d'Afrique. L'océan Atlantique est à 2000 kms et la Méditerranée à 1 200 Km. Il faut au moins entre deux et quatre jours en camions pour parcourir les 1300 kms de route et piste qui séparent la capitale N'Djamena d'Abéché (760 km et 1h20-1h40 par avion type Hercules ou Transall). Et, durant la saison des pluies, de nombreuses routes sont coupées. Et certaines parties du territoire, peuvent être complètement isolées, telles des îles. Ce qui rend nécessaire l'entreposage préalable de réserves.

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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