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Afrique Australe Centrale

Ngarlejy Yorongar (opposant tchadien) : “L’Europe doit cesser d’être naïve avec le régime tchadien”

(BRUXELLES2) Ngarlejy Yorongar, Président du parti fédéraliste, un des principaux opposants au régime du président Idriss Déby était au Parlement européen cette semaine à l’invitation du groupe des Verts. Arrêté et détenu secrètement début février, il a réapparu, miraculeusement, le 2 mars, sous la pression internationale essentiellement. Il a accepté de s’entretenir avec moi sur les circonstances de son arrestation (« imputable à la police politique de Déby »), le régime actuellement en place au Tchad (« digne de PolPot et auteur de crimes contre l’humanité »), la présence de l’Eufor dans la région (« une erreur ») et les possibilités de sortie de crise (« le dialogue inclusif » et une « immunité à vie » pour le président actuel).

Vous avez été arrêté le 3 février dernier, pourquoi ?

— Déby (le président Tchadien) a profité de l’offensive des rebelles pour tenter d’éliminer les personnes qui pouvaient lui porter ombrage. Il fait le nettoyage avant les élections législatives (2009) et présidentielles (2010).

Le régime tchadien prétend n’être pour rien dans votre arrestation ?

— Écoutez. Les personnes qui m’ont arrêté portaient les brassards officiels et les signes distinctifs de l’armée tchadienne. Et, parmi elles, il y avait Ismaël Chaïbo le directeur général de la police politique, l’ANS. Je le connais bien, il m’a déjà arrêté... Nous avons été transférés dans une prison secrète, à Farcha, à l’ouest de N’Djamena, dans un camp qui protège le jardin d’Idriss Déby. J’ai trouvé là l’ancien président, Lol Mahamat Choua (NDLR : libéré le 28 février) et j’étais suivi d'Ibni Oumar Mahamat Saleh (NDLR dont on est sans nouvelles). Beaucoup de gens ont été maltraités. Nous étions enchaînés 24 h. / 24 pendant 19 jours. On ne me permettait même pas de me laver ou de prendre une douche. Déby est venu deux fois dans cette prison secrète, toutes sirènes hurlantes, et il a discuté avec nos geôliers. Mais il n’est pas entré dans les cellules. Donc quand il dit que ni Yorongar ni Ibni n’ont été arrêtés, ce sont des mensonges. Des mensonges grossiers.

Pouvez-vous dresser un bilan du nombre de personnes arrêtées ?

— C’est difficile à dire. Je ne veux pas donner de chiffre précisément. Mais plusieurs personnes, plusieurs dizaines, sont sans doute morts. Beaucoup de mes militants ont disparu ou ont été exécutés sommairement après. Certains étaient entassés dans la prison comme des sardines et sont, sans doute, morts par étouffement.

Comment le savez-vous ?

— Cela fait 14 fois que je suis arrêté… Je commence à avoir des habitudes, des réflexes. On peut se parler à travers les cellules. Il y a aussi les persiennes trouées d’où on peut voir la cour. J’ai vu alors qu’Ibni (autre opposant tchadien arrêté au même moment), évanoui ou mort.

Comment qualifierez-vous le régime d’Idriss Déby

— Ce n’est pas seulement un chef d’État autoritaire. C’est un régime à la PolPot…

PolPot c’est lourd comme référence ?

— Oui. Je maintiens. Ce sont les mêmes méthodes. Les opposants disparaissent. Au Tchad, les hommes du président peuvent – comme je l’ai relaté dans un livre - égorger une femme enceinte et lui enlever son enfant. Ce régime commet des crimes contre l’humanité voire un génocide. Il s’en prend à des familles, des ethnies, des groupes politiques. C’est la définition du génocide. Le régime d’Idriss Déby n’est pas fréquentable, à quel que prix que ce soit.

Vous estimez que l’arrivée de la force militaire européenne, l’Eufor, au Tchad est donc une erreur ?

— Oui. Il ne fallait pas que l’Eufor intervienne. Les Européens se sont fourrés dans un guêpier. Ils n’ont pas pris de renseignements suffisants avant de déployer cette force. Les belligérants, les rebelles, les uns et les autres, ne vont pas laisser faire l’Eufor.

L’Eufor affiche sa neutralité et n’entend pas protéger le régime cependant ?

— Si c’est le cas, quand Déby va s’apercevoir que l’Eufor ne fait pas son affaire, qu’elle n’intervient pas comme il le souhaite, il va piéger les Européens avec des provocations. Il e fera, j’en suis sûr.

Mais il faut bien protéger les réfugiés et déplacées nombreux dans la région ?

— Soyons sérieux. Pourquoi croyez-vous qu’il y a des déplacés ? Ce sont les hommes de Déby, qui ont détruit les villages, tué certains habitants, et forcer les autres à partir. Lisez le dernier rapport d’Amnesty international. Pourquoi y-a-t-il des réfugiés ? Et qui a créé les rébellions du Darfour ? C’est Déby avec l’argent du pétrole. Il croyait que ce serait facile au Soudan, comme avec la République centrafricaine quand il a fait chassé Ange Patassé. Mais Béchir a résisté et lui a retourné la monnaie de sa pièce, en créant à son tour une rébellion dans son dos. Il n’y a que le désordre qui puisse maintenir ce régime au pouvoir. L’Europe ne doit pas être naïve.

Que devrait faire alors l’Union européenne?

— L’Europe doit aider les Tchadiens à organiser un dialogue inclusif pour parvenir à une solution globale et définitive, dans le pays et la région. Car la paix au Tchad entraînera inévitablement la paix au Soudan. Je dis bien un dialogue « inclusif » regroupant tout le monde : rebelles, partis démocratiques et société civile

La pression internationale n’est pas suffisante ?

— Je ne la vois pas. Si vraiment, il y avait pression, on aurait déjà eu ce dialogue. Je n’en veux pas à l’Europe, je lui demande simplement de jouer son rôle, de ne pas prendre parti et faire pression pour ce dialogue et la démocratie.

Le départ de Déby est-il un préalable ?

— Non. On peut le chasser tout simplement par des élections, transparentes. Nous pouvons même accorder une immunité à vie. Déby a très peur de se retrouver comme Charles Taylor, devant un tribunal. Une immunité à vie contre un dialogue, cela me semble un échange honnête.

Avez-vous demandé l’asile politique en Europe ?

— Pour l’instant, ce n’est pas ma préoccupation, j’ai un visa de trois mois, ce qui me suffit. Ce qu me préoccupe davantage, c’est ma santé. Je crains d’avoir été empoisonné quand j’étais en détention, je dois faire un bilan. A défaut de me mettre une balle dans la tête, comme il (Déby) l’avait promis publiquement à 64 cadres de ma région natale (NDLR : au sud du Tchad, région riche en pétrole) en leur disant « il faut faire taire Yorongar, il peut essayer de m’avoir avec d’autres moyens.

Et vous ne comptez pas vous taire ?

— Un cabri mort n’a plus peur d’un couteau.

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

Paru dans Europolitique, mars 2008

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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