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Stratégie de Lisbonne, pour l’emploi: ambition dévoyée…

L’exercice des lignes directrices pour l’emploi s’est aujourd’hui banalisé, et enlisé, dans un vaste exercice administratif d’empilage de rapports, machinerie bureaucratique dénoncée mezzo
vocce
par la plupart des experts concernés. Au départ, cependant, il y a dix ans, cette stratégie alignant rapports conjoints et lignes directrices constituait une véritable innovation,
empreinte d’un dynamisme à la fois politique, économique et social disparu aujourd'hui.

Il y a plus de dix ans, l'essentiel était déjà dit et les objectifs fixés
Dans la foulée du Conseil européen d’Amsterdam, qui a décidé d’anticiper, en 1997, le nouveau Titre sur l’emploi, prévu dans le Traité du même nom, se tient, en effet, un Sommet, à Luxembourg, les
20 et 21 novembre 1997, consacré exclusivement à l’Emploi. On croit rêver…

Les Quinze se fixent des objectifs « dans un délai de cinq ans » pour passer d’un traitement passif du chômage à des « mesures actives » : augmentation du nombre de chômeurs,
bénéficiant de mesures actives, pour se rapprocher progressivement de la « moyenne des trois États membres les plus performants » (d’au moins 20%), « nouveau départ à tout jeune avant qu'il
n'atteigne six mois de chômage, aux chômeurs adultes avant qu'ils n'atteignent douze mois de chômage ». Pour pallier l’échec scolaire, on se fixe un challenge: « réduire substantiellement le nombre
de jeunes qui quittent prématurément le système scolaire (50% en dix ans précisera-t-on en 2000 à Lisbonne). Les objectifs de taux d’emploi, proposés par la Commission (objectif à long terme de
plus de 70%, augmentation à 65 % dans les 5 ans), seront endossés au sommet de Lisbonne. La Commission avait aussi proposé un objectif de réduction de moitié des taux de chômage de longue durée et
de chômage des jeunes dans un délai de cinq ans (qui n'avaient pa été adoptés alors, trop ambitieux, déjà!).

La fiscalité n’est pas oubliée puisqu’on prévoit une réduction progressive de la pression fiscale sur le travail et des coûts non salariaux du travail, « sans remettre en cause
l’équilibre financier des systèmes de sécurité sociale » ; l’objectif restant défini de manière nationale. L'opportunité d'introduire une taxe sur l'énergie ou sur les émissions polluantes ou toute
autre mesure fiscale ou de réduire le taux de TVA sur les « services à forte intensité de main-d'oeuvre et non exposés à la concurrence transfrontalière » est également inscrite.

Une Invitation à négocier aux partenaires sociaux est faite pour des « accords visant à moderniser l'organisation du travail, y compris les formules souples de travail, (…) afin
d’atteindre l'équilibre nécessaire entre souplesse et sécurité, par exemple sur l'annualisation du temps de travail, la réduction du temps de travail, la réduction des heures supplémentaires, le
développement du travail à temps partiel, la formation "tout au long de la vie" et les interruptions de carrière. Le mot « flexicurité » n'est pas prononcé. Mais tout est déjà dit ou l’essentiel.
Et de façon plus ambitieuse. Aux sommets européens de Lisbonne et de Nice, en 2000, de Laeken, en 2001, de Barcelone, en 2002, seront précisés et affinés certains objectifs.

En 2008, que reste-t-il de cet engagement politique et administratif ?

Quelques objectifs ont été atteints ou en passe de l'être (taux d'emploi). Mais aucune étude sérieuse n'est venue corroborer si c'est le fait de de la stratégie européenne de l'emploi ou de
l'évolution de la conjoncture économique. En revanche, plusieurs objectifs plus proprement sociaux ne seront pas atteints en 2010 : où en est l'ambition de réduction de moitié de l'échec scolaire,
du nombre d'exclus, du nombre de chômeurs de longue durée ? Quid du renforcement des services sociaux… Au lieu de chercher remède à cet échec, on en masque l'effet par différents artifices : date
butoir repoussée, objectif supprimé, valeur de référence changée. L'obligation faite à chaque Etat membre "dans l'Union européenne" est ainsi parfois devenu une simple "moyenne (...) au niveau de
l’UE" (exemple l'âge de la retraite).

De fait, l’exercice des lignes directrices pour l’emploi est devenu le contraire de ce qu’il était au départ : un exercice de stimulation mutuel pour devenir un exercice de langue de
bois
, digne des meilleurs emprunts au PolitBuro, où on se félicite des résultats obtenus – sans chercher si la cause n’est pas dans d’autres phénomènes (l’économie mondiale par exemple…),
où on escamote les échecs – en révisant les moyens, voire en supprimant les objectifs dont on sait pertinnement qu’ils ne pourront être atteints. Il est temps de regarder les choses en face : on a
perverti la stratégie européenne pour l’emploi fixée à Luxembourg .

N'est-il donc pas temps d'arrêter cette mascarade qui occupe beaucoup de temps et d'énergie ? Ou ne faut-il pas en revenir aux fondamentaux : quelques objectifs précisément cernés, chiffrables,
évaluables chaque année, en désignant bons mais aussi mauvais élèves ? Pour cela il faudra sans doute attendre une autre Commission européenne, et à sa tête, un homme plus courageux que l’actuel
détenteur.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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