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Services de santé : quelle action future ?

(B2) A la lecture de la synthèse sur la consultation menée par la Commission européenne sur les services de santé et de certaines propositions, on ne peut être que perplexe.

1° L’ampleur des problèmes révélés touche à tous les pans de la société : de la responsabilité médicale au cadre de planification des soins, en passant par l'information des patients et des professionnels. Au point qu'on peut se demander si chacun des problèmes traités ne mériterait pas à lui seul une initiative, législative ou non, à supposer que la plus value communautaire soit prouvée. Le chantier semble immense !

2° Il existe un manque de données de base objectives (combien de personnes ont été soignées mais surtout combien d'actes de soins et pour quel montant, dans quelles spécialités…) et de données subjectives (la population veut-elle vraiment accéder à des soins au-delà des frontières ?) qui permettent difficilement d'avoir une idée sur les besoins et l'impact de tel ou telle initiative.

3° Les points de vue exprimés ressortent clairement du syndrôme Nimby (Not in my back yard : pas chez moi). Tout le monde est d'accord pour qu'une solution communautaire soit trouvée au problème qu'il subit mais réfute une telle solution pour les problèmes qu'il cause. Exemple : le risque de "l'importation" de patients est souvent évoqué (comme facteur de déstabilisation du système de soins…) mais celui de "l'exportation" l'est beaucoup moins. A l'inverse, la question de la fuite des cerveaux ne préoccupe que les pays de départ, pas ceux d'arrivée. Et si les organisations professionnelles sont d'accord pour évoquer la question de la responsabilité, elles préfèrent des instances de conciliation légère, type réseau Solvit, pour les régler.

4° Enfin, si certaines propositions suscitent des avis divergents, ce qui est logique, d'autres encore relèvent plutôt des fausses bonnes idées, impossibles à mettre en oeuvre en pratique au niveau européen (tout simplement car elles n'existent pas déjà au niveau national ou relèvent d'une planification, dépassée, à la soviétique).

Foin de pessimisme. Des solutions peuvent s'ébaucher. Ne les as-t-on pas trouvé dans d'autres domaines, comme le transport et la sécurité maritimes, où les mêmes questions de responsabilité, d'inspections de qualité, de reconnaissance des contrôles, des compétences professionnelles, d'information des usagers… se posent.

Mais il reste plusieurs difficultés :

1° Chaque décision doit être pesée au millimètre près tant le poids de la santé pèse sur les finances publiques (entre 10% et 20% du budget) et l'économie de chaque Etat membre (entre 9 et 10% du PIB) et connaît une croissance soutenue. Ne pas encadrer la mobilité des patients ou l'encourager sans retenue ne serait pas sans conséquence sur les finances publiques.

2° Il y a une contradiction réelle entre la façon dont les systèmes de santé fonctionnent (planification, contrôle des soins, des soignants et des patients) et les principes de liberté inscrits dans les traités européens. Lors de la conception des traités, il y a 50 ans, les systèmes de soins étaient organisés d'une telle façon qu'il paraissait évident qu'ils échappent à ces règles. Aujourd'hui, tant l'évolution économique qu'idéologique, consacrée par une jurisprudence européenne, ajouté à un manque certain d'anticipation des gouvernements et la crispation des organismes de sécurité sociale (qui ont souvent très peu joué le jeu de la transparence, de l'information des patients, voire ont violé délibérement les règlements européens) conduisent à cette impasse. Le fonctionnement des systèmes de santé est, par nature, anticoncurrentiel et il doit se plier à des règles faites pour le secteur concurrentiel, le droit des citoyens à se faire soigner et des professionnels à obtenir le paiement de leurs actes connaît une limite : celui des contribuables (souvent les mêmes) à le financer.

3° Cette contradiction se marque au sein même de la Commission et des institutions européennes
plus généralement. Tandis que la DG Sanco mène sa consultation, la DG Markt multiplie les infractions dans le domaine médical (numerus clausus ou propriété des pharmacies par exemple) et la DG Emploi continue de mener à bien la réforme du règlement d'application sur la coordination des régimes de sécurité sociale. Le tout sans coordination apparente.

Quelles priorités ?
Tout l'intérêt de cette consultation est, donc, d'appuyer sur ce type de problèmes, mis sous le boisseau jusqu'à la directive Services, proposée par Frits Bolkestein. Parmi les nombreuses propositions issues de la consultation, tentons de dégager quelques lignes forces :

1° L'information des patients, suscite un quasi-consensus et peut facilement trouver place dans un instrument obligatoire (créant une obligation d'information sur les soins, les conditions de prise en charge, d'autorisation préalable, fixant les droits et délais de recours, d'une instance de résolution des litiges). Complétée par la Charte européenne des patients, elle concourt à l'Europe des citoyens voulue par le président de la Commission.

2° La codification de la jurisprudence de la Cour de justice sur le remboursement des soins, prise en compte déjà partiellement dans la réforme du règlement de coordination de sécurité sociale (règlement 883/04), devra être complétée, par un additif au règlement 883/04 et/ou une directive ou un règlement, ce dernier pouvant préciser les raisons justifiant l'obligation de délivrer d'une autorisation préalable ou permettant de la refuser.

3° L'encadrement de la liberté d'établissement de prestation de services apparaît nécessaire, afin d'éviter l'afflux des plaintes ou des abus des Etats membres. C'est sans doute le point le plus délicat. Elle pourrait trouver un débouché, à défaut de directive, sous forme de lignes directrices.

4° Un encadrement des conditions de transfert des patients dans un Etat membre à un autre devra être prévu, soit sous forme de directive, soit sous forme de convention-cadre, prévoyant des solutions particulières pour les zones frontalières.

5° L'établissement d'une méthode ouverte de coordination et d'expériences pilotes pourrait inclure l'iSanté, la recherche sur la terminologie européenne ou l'établissement de centres de référence.

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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