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Sommet de Lahti. Poutine, grand gagnant par défaut



(B2) Invité par la présidence finlandaise de l'Union à venir partager - ce 20 octobre - un dîner avec les chefs d'Etats et de gouvernement des 27 (*), dans la bonne ville de Lahti (en Finlande), Vladimir Poutine peut être satisfait. Le président de la Fédération de Russie repart sans avoir cédé sur l’essentiel. La Charte sur l’Energie est moribonde. Ses principes seront peut-être repris mais renégociés. Les entreprises
européennes doivent s’attendre à voir leurs contrats, trop favorables, renégociés. Le président russe a aussi, à plusieurs reprises, renvoyé les Européens dans les cordes : sur le libre marché, la corruption, la mafia … Et, surtout, il a évité publiquement toutes les questions gênantes - liberté de la presse, droits de l’homme, Tchétchénie, Géorgie - se portant même garant d'une stabilité menacée dans la zone orientale de l'Europe.

Pour arriver à ce résultat, il faut repartir au constat de départ. Face à Poutine, les Européens ont eu le choix entre deux stratégies : politiser le débat et lier l'économie à la politique ou à la morale, ou séparer les questions.

La première stratégie était défendue par plusieurs pays d'Europe de l'est qui, forts de leur proximité historique, géographique et psychologique avec la Russie, soulignent que les questions économique et politique sont liées et que les questions de démocratie ou de relations avec les autres républiques issues de l'ex-Urss doivent aussi être discutées. Une position qui était loin d'avoir une visée utopique mais partait d'un parti pris stratégique : ne rien laisser passer aux dirigeants Russes, utiliser ses "erreurs", ses dérapages comme atout de discussion. Ne pas considérer que la question des relations avec les pays voisins de la Russie est une question de celle-ci mais peut menacer à terme la stabilité européenne. Outre un coté un peu revanchard post-soviétique, cette stratégie a un inconvénient majeur : en haussant le ton, on risque certainement d'irriter le grand voisin oriental au moment où, internationalement (Corée, Iran...), l'Europe a besoin de lui. Quelques compagnies européennes engagées actuellement sur le marché russe pourraient y laisser quelques plumes. Comment ne pas y voir aussi un certain esprit revanchard sur la période précédente soviétique.


La deuxième stratégie, de dépolitisation du dossier, était défendue principalement par un trio de "grands" pays, Allemagne-France-Royaume-Uni, et endossée par la Commission européenne et la présidence finlandaise. Le propos était de séparer les questions. La rencontre de Lahti ayant pour objet les marchés énergétiques, il s'agissait de ne pas la polluer avec d'autres questions plus politiques. Pratiquement, de dire à Poutine : "faites ce que vous voulez dans votre pays aux niveaux des réformes politique, militaire, humanitaire, mais ne touchez pas aux avancées du libre marché et... à nos entreprises". Le message a l'avantage d'être clair mais conciliant et de ne pas irriter le président russe. Il peut l'obliger aussi à un geste de bonne volonté à court terme. Il a l'inconvénient de lui laisser une large marge d'appréciation pour le futur dans ses relations sur le "glacis" russe. Il démontre aussi que  l'Europe, force économique et démographique, préfère rester un "nain politique" même dans sa zone de proximité. Il recèle une contradiction : à quoi sert de mener un débat au plus niveau politique pour laisser de coté les questions les plus politiques ?

Clairement, la ligne choisie par les Européens a été celle-là. Malgré quelques apartés au dîner avec Poutine, cette ligne n'a pas été infléchie. Mieux le message des droits de l'homme a été quasi inaudible aux cotés de l'économie. Cette position sera-t-elle gagnante à moyen terme ? Rien n'est moins sûr. Quand un joueur de rugby met en touche au lieu de jouer l'avantage, faut-il encore qu'il puisse recupérer la balle ensuite. Car l'unité affichée par les 27 n'était que de façade. Et ces lézardes n'ont pas échappé au Président russe.

Dès lors une question se pose : était-ce vraiment intelligent d'inviter Poutine à un sommet européen alors que les 25 n’ont pas encore accordé leurs violons sur des questions aussi fondamentales que l’énergie et la démocratie et le niveau des relations avec la Russie ? Et là, tous les participants à cette rencontre, à part... les Finlandais, répondent... "franchement Non".

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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