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L’Europe sera plus forte avec la Turquie que sans (Commission)

(B2) La Commission européenne devrait mercredi (6 octobre) recommander l’ouverture des négociations d’adhésion sur la Turquie. Malgré des réserves sur les droits de l’homme notamment, le Oui transpire des rapports d’évaluation. Extraits…

Ces documents portent la mention « Restreint UE ». Mais ils circulent déjà largement sous le manteau dans les couloirs des institutions européennes. Le premier rapport évalue les progrès faits vers l’adhésion tant d’un point de vue économique que politique, selon des critères définis à Copenhague en 1993. Si les améliorations sont systématiquement mises en avant, la question des droits de l’homme n’apparaît pas parfaitement maîtrisée aux yeux des experts européens. La Turquie n’exécute pas « de nombreux jugements de la Cour européenne des droits de l’homme » est-il écrit. La pratique de la torture demeure « dans des cas spécifiques ». Quant à la situation dans les prisons si elle s’est améliorée, « le droit d’accès à un avocat n’est pas toujours assuré ». Chapitre par chapitre, ensuite, de la libre circulation des marchandises au contrôle financier, ce rapport décrit les progrès économiques, selon une conclusion qui peut tenir en deux mots : « substantielle modernisation ».

Une vision messianique

Le deuxième document, d’une cinquantaine de pages, est consacré à l’impact que peut avoir l’adhésion de la Turquie sur les politiques européennes. On reste étonné devant le caractère assez sommaire des analyses. Il est clair que la place géostratégique et culturelle de l’ancien empire ottoman, au confluent de plusieurs mondes, suscite une attraction évidente chez les auteurs du rapport. « La Turquie pourrait être un modèle important d’un pays avec une majorité musulmane adhérant aux principes de liberté, de démocratie et à l’état de droit » soulignent-ils. Et de préciser « A travers la Turquie, l’Union serait un pôle de stabilisation dans la région ». Même si Bruxelles prône, à mi-mot, une reconnaissance du génocide arménien, pudiquement dénommé les « tragiques évènements de 1915-1916 », elle décerne un satisfecit global au pays. Certes, son entrée dans l’Union européenne bouleverserait quelques politiques européennes, à commencer par l’agriculture (la PAC) et l’aménagement du territoire (Fonds structurels). Si les règles actuelles continuent d’être appliquées, nombre de régions en Europe, surtout dans les nouveaux Etats membres, n’auraient ainsi plus droit aux financements communautaires. De même, la sécurité des frontières en matière d’immigration avec des pays comme l’Iran ou l’Irak, l’Arménie, la Géorgie ou l’Azerbaïdjan relève de la gageure. Mais la Commission préfère parler de « challenges » que s’appesantir sur les solutions.

Les trente commissaires européens doivent désormais peser tous les termes de la recommandation officielle qu’ils feront au Sommet européen. Ce document n’est pas encore finalisé. Leurs chefs de cabinet planchaient encore sur le sujet hier soir et, pour éviter toute fuite, le document devait leur être enlevé des mains sitôt la discussion terminée. Mais, selon certaines indiscrétions, il pourrait contenir une clause de suspension des négociations. Etant entendu que, comme pour toute négociation, il suffit d’un veto d’un Etat pour l’interrompre. En revanche, il n’indiquerait pas de date pour l’ouverture des négociations, laissant le soin aux chefs d’Etat et de gouvernement d’en décider, le 17 décembre prochain.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(article paru dans Ouest-France, décembre 2004)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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