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Un député européen gagne-t-il trop ?

Sous prétexte d’un salaire trop élevé, gouvernements français et allemands ont fait échec à un statut unique des députés. Les dessous peu reluisants d’une question empoisonnée...

(Archives B2) La rémunération des députés suscite toujours des phantasmes. Ils gagnent trop disent certains. Tout dépend du prix que l’on attache à la démocratie, rétorquent les autres. En fait, cette question est, avant tout, affaire de transparence. Actuellement les députés européens ne gagnent pas tous le même salaire. Et de loin.

Alors qu’ils effectuent le même travail, sont astreints aux mêmes obligations, leur salaire reste payé par leur Etat d’origine. Entre un Hongrois qui gagnait, en 2003, 761 euros de salaire brut et un Italien - le mieux payé -, qui émarge à près de 11 000 euros, il y a de la marge ! Et alors que l’Espagnol croûte « péniblement »à 3 000 euros, l’Anglais s’octroie 7 100 euros. Les cotisations sociales et l’impôt sont également acquittées par les députés dans leur Etat d’origine. Ce qui a l’art de faire du revenu des députés, le système le plus inégalitaire et opaque qui soit.

Mettre fin à la pagaille

Depuis 1979 que le Parlement européen a été élu, pour la première fois, au suffrage universel, chacun s’accorde qu’il faut mettre fin à cette pagaille. Depuis plus de vingt ans, ministres et parlementaires s’écharpent donc pour mettre en place un statut unique. Il y a quelques jours, on était prêt du but. Un accord était trouvé. Chaque député recevrait une paie unique, versée sur le budget communautaire. Le montant étant fixé à la moitié du salaire d’un magistrat de la Cour des comptes, soit environ 9000 euros brut en 2004. L’impôt et les cotisations sociales seraient les mêmes pour tous. A la fin du mois, il resterait un peu plus de 5 500 euros à chaque député. Assez confortable ! En contrepartie, le Parlement serrerait encore la vis sur les frais, dont le remboursement ne sera plus forfaitaire (comme pour les voyages). La retraite serait fixée à 63 ans. Oui mais...

L’hypocrisie allemande

Au dernier moment, le gouvernement allemand sort son veto. Alors qu’il n’avait jusqu’ici rien dit, il estime le montant octroyé aux députés trop élevés. Ce soudain sens moral a une raison : le « Bild ». Ce journal, dont la réputation sulfureuse n’est plus à faire, est en effet intervenu dans la bataille, criant haro sur les privilégiés. Un argument qui fait mouche. Mais la réalité est moins reluisante. Ce sont en fait certains députés allemands qui ont agité, en sous-main, ce chiffon rouge. Ils craignaient... la baisse de leurs privilèges.

Les papis font de la résistance

En effet, pour eux, l’augmentation du salaire ne compense pas la possibilité d’échappatoire que leur donne aujourd’hui les notes de frais, des conditions de départ à la retraite ultra favorable – à 55 ans en gardant deux tiers du salaire sans quasiment de cotisations. Bref, les papis allemands font de la résistance. Et certains gouvernements suivent. A commencer par les Français qui appuient, à son tour, sur la pédale de frein. Jean-Pierre Raffarin, à qui est remonté le dossier, a tranché personnellement. Au nom de l’amitié franco-allemande, le Premier ministre estime plus sage de... ne rien décider avant les élections. Le dicton « courage fuyons» a encore frappé. Une belle occasion de perdue. Sous prétexte de lutter contre le salaire trop élevé des députés, et plutôt que de baisser celui-ci, on préserve, de fait, l’opacité du système et une dangereuse inégalité. Belle hypocrisie !

Nicolas Gros-Verheyde, à Bruxelles

Le salaire des députés varie selon les pays

Pays

Euros

Hongrie

761

Slovaquie

888

Lettonie

980

Lituanie

1 183

Malte

1 210

Rép. tchèque

1 300

Pologne

2 075

Estonie

2 458

Espagne

3 055

Portugal

4 024

Chypre

4 080

Slovénie

4 155

Finlande

4 541

Suède

4 985

France

5 206

Luxembourg

5 316

Danemark

5 555

Grèce

5 600

Belgique

5 668

Irlande

5 984

Pays-Bas

6 467

Allemagne

7 009

Royaume-Uni

7 107

Autriche

8 750

Italie

10 975

Le salaire brut d'un député européen (par pays, sur douze mois – chiffres 2003)

(Source Parlement européen)

Ce que reçoit aujourd’hui un député européen (français)

Député européen. Un bel avenir. Candidats, préparez-vous. Les listes ne sont pas closes. Peut-être une chance. Mais alors combien gagnerez-vous ?

Le salaire

Un député européen (français) gagne comme son homologue de l’Assemblée nationale, soit 5388 euros brut en 2004 (montant basé sur la moyenne des fonctionnaires hors classe) auxquels il faut retirer quelques cotisations sociales, soit 5026 euros net. Cette somme est soumis à impôt sur le revenu comme les salariés.

Les frais

Les frais sont harmonisés au niveau communautaire et versés par le Parlement européen, sur la base des sommes réellement engagées, sur présentation de justificatifs. Fini le bon temps des années 1980-1990 où tout ou presque était permis ! Mais le confort reste assuré...

Des frais de déplacements.

Une indemnité forfaitaire de voyage pour couvrir les frais de déplacement aux réunions officielles du Parlement (à Strasbourg) – le remboursement étant fait sur la base d’un billet normal en classe économique sans restriction (code YY) ou à raison de 0,66 cents / km en cas de trajet en train ou par automobile. A cela s’ajoute, une indemnité de séjour : 262 euros par jour. Attention ! La signature du registre de présence est obligatoire. Et pour les resquilleurs, qui s’en vont dès la signature, l’indemnité peut être réduit de moitié pour les députés n’ayant pas participé à au moins la moitié des votes lors des sessions plénières.

Une indemnité complémentaire de voyage : 3 652 euros maximum par an. Destinée à couvrir les voyages effectués dans le monde dans l’exercice du mandat pour assister.

Des frais généraux

Une indemnité de 3 700 euros par mois (sur justificatif) pour couvrir les frais postaux et de téléphone, la documentation, l’informatique, etc...

La rémunération d’un secrétariat : 12 576 euros par mois maximum pour recruter un ou plusieurs assistants. Afin de prévenir toute dérive, la rémunération est désormais versée soit directement à l’assistant soit à un tiers (le parti par exemple) chargé par le député de gérer un pool d’assistants. Pour lutter contre la tentation d’emploi fictif ou de népotisme, le député doit déclarer au bureau de l’assemblée les assistants qu’il engage. Le nom des assistants est également public, disponible sur internet. Les frais engagés par le député pour ses collaborateurs peuvent être remboursés directement, sur justificatif.

Attention ! Une déclaration d’intérêts financiers est exigée de chaque député. Elle est publique.

(source / Parlement européen – Assemblée nationale)

(Nicolas Gros-Verheyde)

Paru dans France-Soir, février 2004

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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