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Guantanamo : appel pressant aux gouvernements de l’UE pour agir

(B2) « Guantanamo : le droit à un procès équitable », c'est en ces termes que la commission des libertés publiques du Parlement européen a tenu une audition publique mardi. Un éclaircissement nécessaire alors qu’on ne sait toujours pas précisément combien de personnes sont détenues sur cette base américaine à Cuba, certaines depuis plus de deux ans.

Le chiffre le plus couramment admis est celui de 650 personnes détenues, la plupart ressortissants de pays du Moyen-Orient. Mais, selon les ONG, on décompte plus d’une vingtaine de citoyens européens ou résidents de longue durée sur le sol européen, dont douze Britanniques (neuf citoyens et trois résidents), six Français, un Espagnol, un Suédois, un Danois et un Turc résident en Allemagne.

Organisée par quatre partis (socialistes, libéraux, verts, communistes), cette rencontre a pourtant été ouverte par le président de la commission, le PPE espagnol Jorge Hernandez Mollar. Car, a-t-il indiqué, la détention des prisonniers à Guantanamo « est non seulement une préoccupation pour le Parlement mais rentre en contradiction flagrante avec le droit de toute personne à un jugement impartial. Nous insistons – a-t-il ajouté - pour que la situation politique de ces détenus soit éclaircie ». Cette situation « est franchement inacceptable pour un pays démocratique au 21e siècle » a renchéri Anna Terron I Cusi (PSE, Espagne). « C’est inacceptable et une claque à la démocratie » a rappelé Monica Frassoni (Verts, Belgique). La suite de l’audition a été marquée par des interventions, souvent empreintes d’émotion et de retenue, des avocats et des familles des détenus.

L’isolement

Tous ont souligné l’isolement, le manque de nouvelles et l’absence de représentation juridique des prisonniers à Guantanamo. Très humblement, Nayat A. Ahmed, sœur du détenu espagnol Hamed Abderrahaman Ahmed a ainsi fait une déclaration courte mais évidente : « la seule chose que je vais demander pour mon frère détenu, qu'on lui applique les mêmes droits que pour les autres citoyens humains ». Son avocat, Javier Nart a mis en avant cette discrimination flagrante « Les citoyens américains ont eu droit à un procès aux Etats-Unis. Pas les étrangers. » Il a également pointé du doigt tout le paradoxe de la situation : « Depuis trente ans que j’exerce ce métier, j’ai toujours été habitué à plaider l'innocence de mon client. Aujourd’hui, c’est le premier dossier où je demande que mon client soit accusé de quelque chose ».

Pour sa part, William Bourdon, avocat de quatre des six détenus français, a souligné que « les différentes actions juridiques intentées en France tant devant les juridictions civile, pour lui demander de se substituer au juge défaillant au nom de la Convention de Genève (…), que pénale, pour « enlèvement et séquestration arbitraires », ont été un échec ». Mais il en faudrait davantage pour abattre cet ancien secrétaire de la Fédération internationale des droits de l’homme. « La Cour de cassation (française) est saisie du dossier » précise-t-il. Et au final, « ce sera la Cour européenne des droits de l’homme qui sera appelée à statuer ». D’autres actions sont en préparation a-t-il ajouté : « la saisine du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et les mauvais traitements » et « une démarche commune des différents Barreaux européens ». « Une conférence de presse à Paris le 15 octobre prochain » a précisé Anne Souleliac, chargée auprès du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris de suivre les questions de droits de l’homme.

L’inaction européenne

De façon générale, les avocats ou les familles, qu’ils soient français, espagnol ou allemand, ont d’ailleurs mis en avant l’inaction des gouvernements européens, à une exception notable près. Anna Lindh, aujourd’hui décédée, avait pris la plume en son temps pour exprimer sa préoccupation au Secrétaire d’Etat américain, Colin Powell. Tous en appellent en fait aujourd’hui aux institutions européennes. « Le Parlement doit faire plus qu'une déclaration » a ainsi insisté l’avocat espagnol Javier Nart.

Raison de sécurité

Face à cet état d’esprit, la tâche de Todd Huizinga, chargé des relations parlementaires à la mission américaine auprès de l’Union européenne n’était pas aisée. Il a justifié la méthode suivie. « Nous enquêtons sur chaque détenu. Cela prend beaucoup de temps. Ce n'est pas simple. Nous avons pu libérer des prisonniers au cas par cas. »

Mais a-t-il assuré « Nous ne pouvons pas les libérer (tous) tant que les hostilités ne sont pas terminées. Sinon qui nous dit qu'ils ne rejoindront pas aussitôt libérés les rangs de ceux qui combattent les Etats-Unis. » C’est également cette raison de sécurité qui semble avoir motivé le choix de Guantanamo. « Lorsque les premiers détenus ont été interpellés, nous avons mené une enquête approfondie pour veiller à ce qu'ils ne puissent pas mettre en danger les citoyens américains tout en veillant au sort des prisonniers. »

Conforme aux conventions de Genève selon les USA

Pourtant il a rappelé la position très formelle du gouvernement américain « La convention de Genève ne prévoit pas que les personnes détenues à Guantanamo soient considérées comme prisonniers de guerre. Mais nous nous efforçons autant que possible de respecter (ces) conventions, avec des conditions décentes. »

Un propos qu’a tenu à contredire, point par point, Enrique Baron Crespo (PSE, Espagnol). « J’ai demandé au service juridique du Parlement » a-t-il expliqué « un avis pour situer les choses dans le contexte le plus objectif possible ». Et la conclusion pour lui est claire « Nous pensons que la troisième convention de Genève est d'application, que ces détenus doivent être traités comme prisonniers de guerre, que l'interprétation unilatérale ( de ces conventions) n'est pas possible ».

Le président du Groupe PSE au Parlement qui n’était pas prévu, à l’origine, pour intervenir dans le débat, a tenu aussi à le resituer dans une perspective historique. « Le choix de Guantanamo n'est pas gratuit. » a-t-il expliqué « C'est le fruit d'une situation coloniale. Les Espagnols y étaient déjà parce que la loi américaine n'y était pas applicable. On a choisi ce lieu pour ce fait, pour que les prisonniers ne soient pas soumis à une quelconque juridiction. ». Et quand on parle de la culpabilité des personnes concernées, celui qui aussi « défenseur des tribunaux d’exception » appelle à la prudence nécessaire en matière de preuve et de « présomption ». « Les Etats Membres doivent défendre nos compatriotes » a-t-il conclu.

« Vous n’êtes plus nos héros »

Aux reproches à peine voilés du représentant américain de manque de solidarité, la Baronnes Sarah Ludford (ELDR, Royaume-Uni) a tenu à répliquer : « J'ai grandi dans les années 50, très consciente, de l'aide apportée par les Usa. J'éprouve maintenant une déception et une tristesse. Vous n'êtes plus nos héros ». Au final, plusieurs voies d’action ont été évoquées par les parlementaires. « Cette audition est le commencement d’un processus » a souligné Anna Terron I Cusi (PSE, espagnole). « Avec le soutien d’au moins quatre des groupes politiques du Parlement, nous pouvons dégager une majorité au Parlement, laquelle pourrait conduire, dès que possible, à une recommandation parlementaire officielle destinée au Conseil. »

Une action diplomatique au niveau de l’Union européenne pourrait être entreprise visant à demander aux Américains de donner des garanties sur le traitement humanitaire des détenus incluant la protection de leurs droits humains ». « Si aucune solution équitable n’est trouvée » a proposé Monica Frassoni, coprésidente du groupe des Verts , l’accord d’extradition et coopération judiciaire signé avec les Etats-Unis en juin ne devrait pas entrer en vigueur le 1er mai 2004 ». « Les Américains veulent que les Européens acceptent une résolution de l’Onu sur l’internationalisation de l’occupation de l’Irak » a estimé la Baronnes Sarah Ludford (ELDR, Royaume-Uni) « faisons de la tenue d’un procès équitable une première condition à cet accord ».

Quant à Jean Lambert (Verts, Royaume-Uni), elle se demande s’il ne faut pas songer à modifier les conventions internationales. « Il faut une nouvelle convention de Genève pour faire face à des situations quand il n'y a pas d'armée constituée comme pendant la seconde guerre mondiale. Il faudrait (aussi) réviser la Convention de Vienne sur l’assistance consulaire » pour permettre de prendre en compte les personnes qui sans être des citoyens « résident depuis de nombreuses années dans un Etat membre ».

(NGV)

(© Article paru dans Agence Europe, 1er octobre 2003)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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