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Elargissement VoisinagePolitique européenne

N’ayons pas peur de l’Est…

(B2) D'aucuns pressent les Irlandais de voter aujourd'hui « Non » au référendum sur le traité de Nice (NB : tel Jean Quatremer le correspondant de Libération). L'Europe serait mal préparée ; les pays candidats non plus, disent les uns. Le traité de Nice est mauvais, incomplet et mal rédigé, il vaudrait mieux attendre un peu avant de s'engager, disent les autres. Triste hypocrisie.

Le dilemme entre approfondissement et élargissement est un leurre

Qui peut en effet être assez naïf aujourd'hui pour croire que les chefs d'Etat ou de gouvernements des Quinze pourront se mettre d'accord demain ce qu'ils n'ont pas résolu hier. Les tenants de ce « Non », par procuration, ne veulent pas, en fait, de cet élargissement à dix nouveaux pays, essentiellement d'Europe centrale et orientale. Pour résumer, une seule motivation anime ces soubresauts médiatiques. La nostalgie d'un mur révolu. Où tout était simple, tranché. Où les « bons » étaient d'un coté, les méchants de l'autre. Où Mitterand et Kohl se promenaient main dans la main. Le soi-disant moteur franco-allemand n'est plus seul maître à bord. D'autres couples se sont donc formés, se forment, se formeront.

L'Europe de "Papa", à Six, est morte

Il serait peut-être temps que les Français se réveillent, qu'ils s'aperçoivent que l'Europe « de papa » est morte. Par sentiment politique, ou incompréhensions personnelles, nos différents dirigeants - peu aidés par une diplomatie frigide - n'ont pas pressenti cette évolution. Ils n'ont pas eu l'heur et le courage d'en expliquer le sens aux Français. Erreurs  et approximations ont ainsi émaillé notre politique dans ces pays depuis dix ans. Or, les Français ne doivent pas avoir peur de ces « inconnus » de l'est. Structurellement, politiquement, idéologiquement, la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie pour ne citer que les plus importants de ces pays, apparaissent plutôt comme un renfort pour notre conception de l'Etat et de l'économie. Elevés au biberon du code napoléon, saturés d'une idéologie soviétique - qui on l'oublie souvent - s'est fortement inspirée des principes de la révolution française, tous ces pays ont ainsi une conception unitaire de l'Etat. Où un gouvernement national décide de manière égalitaire pour tout le pays. Alors que le modèle prédominant en Europe était, jusqu'ici, le modèle fédéral. Cette même identité de vue prédomine au niveau socio-économique. Le concept d'intervention de l'Etat reste encore fortement ancré dans la population. Malgré les discours politiques et les apparences, le service public à la française, mêlant public et privé, reçoit là aussi un renfort inespéré.

Accepter l'élargissement, c'est accepter de rejoindre la réalité, cesser de se cacher les yeux.

De gré ou de force, ces pays d'Europe centrale et orientale, et leurs habitants, se sont déjà en effet agglomérés à « notre » Europe. Ceux des travailleurs de l'Est qui ont voulu émigrer dans nos contrées et abandonner leurs foyers sont déjà présents dans nos pays, légalement ou au noir. A l'inverse, les entreprises de l'Ouest sont déjà présentes à l'Est, ouvertement ou par le biais de filiales. Toute la problématique de l'élargissement est donc faussée : ces pays sont déjà en simili concurrence  dans l'Union européenne. Il ne s'agit donc pas de savoir s'il faut leur ouvrir la porte. Mais de résoudre trois questions. Voulons-nous que leurs habitants aient également le droit de participer démocratiquement aux instances européennes ou seulement de les subir ? Voulons-nous amener ces pays à un niveau pour que toute concurrence déloyale, tout dumping social ou économique cesse d'être intéressant ? Voulons-nous que les échanges se fassent ouvertement ou subrepticement ? En gros, légalisons-nous cette nouvelle Union. Ou préférons-nous reconstruire un "Mur" ? C'est aussi à cette question que nous devons répondre  aujourd'hui plutôt que de voter par procuration irlandaise.

Nicolas Gros-Verheyde

(article paru dans France-Soir, octobre 2002)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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