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Le parti de la bière, la farce est finie

(Archives B2 - à Varsovie) Dans la grisaille ambiante de la campagne électorale polonaise qui voit s'affronter 64 listes aux différences souvent microscopiques, le parti des amis de la bière détonnait, par sa fraicheur et son humour. Aujourd'hui encore, il marque sa différence mais sur un tout autre registre, celui de la banqueroute.

Né en décembre 1990 comme une plaisanterie d'acteurs en goguette, le parti des amis de la bière est devenu au fil des mois et des sondages, une force sérieuse - entre 3 et 5% des voix - avec lequel il faudrait compter dans ce futur puzzle que sera demain le parlement polonais. L'épiscopat polonais lui a même conféré ses lettres de noblesse, en recommandant fortement aux Polonais de... « ne pas voter » pour ce parti.

Discuter de choses sérieuses autour d'une bière

Rassemblant d'une part les "polonais moyens", ingénieurs, journalistes, acteurs de théâtre… et d'autre part, des businessman, le parti des amis de la bière (Polskiej Partii Przyjaciół Piwa) porte une revendication principale : pouvoir discuter de choses sérieuses, avec calme, sans disputes autour… d'une bière ! Cette couleur politique a également l'avantage, selon ses membres : « pouvoir répondre répondre diplomatiquement à la question rituelle - quelle est votre opinion ? - par un - j'aime beaucoup la bière - ».

Du parti des braves gens au parti du succès

Début juillet, un comité électoral dirigé par Piotr Kaczorowski fut mis en place, et un premier appel de fond lancé. Un groupe de "biznesman" s'est constitué sous la houlette de CZ, directeur d'une société d'électronique s'est constitué. Il a même promis « l'argent tant qu'il en faudra ». Accord conclu… Une première dotation de 2 millions de zlotys (1 million FF) a ainsi été apportée en échange d'une présence sur les listes. Et dix commandements intitulés pour « comment boire la bière » furent édictés. Le programme du parti fut cependant quelque peu modifié, pour le rendre plus "agressif". Le parti des braves gens devint alors le "parti du succès". Et certaines revendications, très précises, firent leur apparition, comme la baisse des impôts pour les entreprises ou l'agrandissement des petites exploitations agricoles… La philosophie conviviale du parti commença à être mise à mal, à l'intérieur même du parti.

De la promotion d'idées libérales au petit commerce

Ce n'était qu'un début... Lors des premiers spots télé, les "biznesman" profitèrent de l'aubaine - la minute de publicité télé coûtant 150 millions de zlotys - pour faire la promotion de leur petit commerce plutôt que de leurs idées. On put voir ainsi en pleine campagne électorale un brave vendeur expliquer les détails de son excellente gamme de voitures Ford, ou un brasseur vanter son pub où coule la bonne bière. Enivrés par leur succès, les 'biznesman' allèrent même jusqu'à refuser que deux des candidates passent devant le petit écran. Elles « étaient trop jolies pour être vraies ». Ils pensaient que c'était simplement des "modèles" !

L'ambiance tourne à l'aigre

La chope de bière commençait d'être pleine. Le climat "convivial" devint franchement aigre entre les deux composantes du parti. D'autant que tous les 'biznesman' n'avaient pas tous payé leur écot au parti. Seuls 700 millions de zlotys (350.000 F) étaient rentrés dans les caisses. A peine de quoi payer quelques affiches électorales. Résultat, à quelques jours des élections, le quartier général du parti des amis de la bière - situé en plein Praga, un des quartiers les plus pauvres de Varsovie - ressemblait davantage à un chantier qu'au siège de futurs députés. Les employés n'étaient plus payés, le téléphone ne fonctionnait plus qu'en réception, et le propriétaire donnait une semaine pour vider les lieux. Chacun commença à accuser l'autre de manipulation. Et un imbroglio digne de la meilleure pièce de boulevard se mit en place en présence même de la presse.

Le parti éclate en pleine conférence de presse

Lors d'une conférence de presse destinée à démonter la manipulation des biznesman, le délégué du comité électoral Kaczorowski confirma le retrait de la candidature du "biznesman" CZ plusieurs fois démissionnaire. Furieux, ce dernier aidé du président du parti, l'humoriste et acteur de série télévisé, Janusz Rewiński, dénonça tout à la fois la tenue de cette conférence de presse sans sa présence, la mauvaise gestion de Kaczorowski et annonça le dépôt d'une plainte auprès du procureur comme la nomination de deux nouveaux responsables. Ces deux derniers, peu heureux de ce cadeau empoisonné fait sans les consulter, signifièrent immédiatement leur démission.

Une dispute inévitable

Le vice-président Adam Halber et plusieurs candidats reprirent alors l'offensive, dénonçant cette manipulation et en apportant leur soutien à Kaczorowski. Pour Adam Halber, journaliste à Pan (*), « cette dispute était inévitable. Car comme dans tout mariage de raison, il y avait une contradiction à résoudre. Personnellement, j'aurais préféré que l'abcès crève après les élections. » Et gardant néanmoins une pointe d'humour, « nous avons essayé de faire baisser la température avec la bière mais cela n'a pas réussi. » Les proportions de houblon et d'orge ne devaient pas être les bonnes …

(Nicolas Gros-Verheude)

article paru dans la Truffe, novembre 1991

Mis à jour : le parti obtient aux élections législatives du 27 novembre 1991, 3,27% des voix et 16 députés font leur entrée à la Diète. Adam Halber est décédé à Varsovie le 25 février 2015

(*) : Monsieur, équivalent du Lui français.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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